Le réemploi des matériaux de second œuvre : un levier important pour la transition du BTP vers des pratiques durables et inclusives
A l’heure où le secteur du bâtiment se met en mouvement pour assurer sa transition vers les logiques plus vertueuses et circulaires, les entreprises inclusives s’engagent dans les pratiques du réemploi des matériaux, apportant une réponse sociale aujourd’hui étroitement liée à la question environnementale.
Le secteur du BTP, un levier important pour la réduction des déchets en France
Le BTP : un secteur polluant
Le secteur du BTP est le plus gros producteur de déchets en France avec 240 millions de tonnes par an. Les opérations de construction neuve, réhabilitation et déconstruction génèrent chaque année 46 millions de tonnes de déchets qui sont, pour plus de la moitié d’entre eux, enfouis ou incinérés.
Pourtant, les filières de valorisation des produits et matériaux issus du secteur se structurent et proposent des solutions de plus en plus performantes pour augmenter la part de valorisation de ces matériaux. La hiérarchie des modes de traitement proposée dès 2015 dans la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) fait partie des premiers leviers pour la transition environnementale du secteur. Elle positionne en haut de la pyramide la conservation en place des bâtiments et leur réhabilitation. Ensuite ce qui suis c’est le réemploi des matériaux, de leur réutilisation, du recyclage puis de la valorisation énergétique et enfin de l’élimination par enfouissement en dernier recours.
Une demande en forte croissance
D’un autre côté, la demande en matériaux ne cesse d’augmenter pour alimenter les projets de construction menés par des maîtrises d’ouvrage publiques et privées. On estime d’ailleurs que d’ici 2050 elle sera multipliée par trois. Si le bon sens écologique veut que l’on réduise le nombre de constructions neuves et de démolitions en privilégiant la réhabilitation du parc construit existant, il existe toujours un besoin en matériaux conséquent dans les années à venir.
Hiérarchie des modes de traitement des déchets et produits du bâtiment. Source : ADEME, Code de l’environnement
Face à la raréfaction des ressources, à la hausse des prix des matières premières, et à la nécessité de ne plus enfouir nos déchets pour ne plus détruire les paysages et les écosystèmes, l’économie circulaire apparaît comme une démarche évidente à mettre en place dans les opérations de construction, réhabilitation et déconstruction.
Néanmoins, ce type de démarche apparaît encore souvent aux yeux des donneurs d’ordre comme un défi sur les plans logistique, financier et du calendrier de travaux.
Elle nécessite un changement de paradigme profond dans la manière de penser les projets et la formation des acteurs du secteur à différents niveaux. Cela passe notamment par une meilleure connaissance des moyens disponibles par les commanditaires pour mettre en place de manière opérationnelle une démarche d’économie circulaire et en garantir le succès sur leurs opérations.
Un des impacts positifs des opérations ambitieuses en termes d’économie circulaire qui n’est plus à démontrer est, parce qu’elle nécessite le développement de métiers nouveaux et non délocalisables, la création d’emplois à l’échelle locale et une montée en compétences intégrée dans les territoires valorisant les personnes et leurs savoirs-faire.
LE RÔLE CLÉ DES ENTREPRISES DE CURAGE ET DÉCONSTRUCTION
Un travail collectif
Si les Maîtrises d’ouvrage sont un acteur charnière de l’évolution des pratiques du secteur en matière de réemploi, un maillon indispensable est celui des entreprises de curage et déconstruction. Elles sont capables de prendre en charge sur les chantiers la part de déchets, produits et matériaux issus des travaux et de les mettre en circulation dans les filières adéquates sur le territoire.
C’est sur le travail collectif entre maîtrises d’ouvrage, maîtrises d’œuvre et entreprises que repose le succès d’une opération ambitieuse en termes d’économie circulaire. Avec la loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire) de 2020 et son décret de 2021, les producteurs de déchets, doivent mettre en place le tri 7 flux qui participe à la réduction des déchets à la source de leur production, en l’occurrence sur les chantiers directement dans le meilleur des cas.
Curage et dépose soignée
L’étape de curage, consistant à déposer tout produit ou matériau non structurel dans un bâtiment, est une étape cruciale au service du tri à la source des matériaux. Le curage dit sélectif (contrastant avec le curage classique) permet alors de déposer les produits et matériaux en portant une attention particulière aux flux à trier sur site pour permettre leur recyclage ensuite. Ainsi, il s’agit principalement de séparer minutieusement les différents matériaux composant un espace ou un même produit.
Ces opérations demandent du temps et des équipes plus importantes, mais permettent d’assurer un taux de recyclage plus grand mais également d’éviter l’enfouissement des déchets non triés refusés par les acteurs du recyclage.
La dépose soignée, que l’on peut aussi appeler déconstruction sélective selon qu’elle concerne des actions plus ou moins techniques sur les éléments du bâtiment, permet de démonter ces derniers lorsqu’ils sont fléchés pour le réemploi in situ ou ex situ. Ainsi, en intégrant une série d’opérations qui permettent de conserver l’intégrité du matériau ou produit au fil des différentes étapes du circuit : sa dépose, sa manutention sur site, son stockage, éventuellement son transport, son reconditionnement et sa remise en circulation sur un autre chantier, ou via une matériauthèque. La dépose soignée peut, à l’instar du curage sélectif, demander des équipements plus importants, des équipes qualifiées, une adaptation du planning de chantier.
L’anticipation et l’organisation collective sont donc indispensables pour maîtriser les risques et avoir de la visibilité sur le déroulement du chantier de dépose. Heureusement, des entreprises sur tout le territoire sont déjà compétentes pour le curage sélectif et la dépose soignée, disposent d’équipements, travaillent en partenariat. Elles sont capables de répondre au besoin de prestations incluant l’économie circulaire de manière professionnelle et engagée.
L’ÉVIDENCE DU LIEN ENTRE LE DÉVELOPPEMENT DE LA FILIÈRE DU RÉEMPLOI ET L’INSERTION PROFESSIONNELLE
L'insertion professionnelle
Les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) sont des acteurs de premier plan dans de nombreux domaines. Elles visent à favoriser l’intégration sociale et professionnelle de personnes en difficulté, souvent éloignées de l’emploi pendant plusieurs années ou en situation de précarité et d’isolement. Elles s’appuient sur le levier de l’activité professionnelle comme facteur d’intégration sociale et accompagnent les personnes vers un nouveau projet professionnel en prenant en compte leurs besoins et compétences.
Historiquement, l’insertion professionnelle couvre un vaste panel de métiers allant de la gestion des espaces verts aux métiers de la cuisine, en passant par le secteur du bâtiment dans le second œuvre, le secteur du nettoyage urbain ou nettoyage de chantiers et désencombrement, ou encore le secteur du tri et de la gestion des déchets. Fortes de leur ancrage territorial et de leurs savoirs-faire sur ces secteurs, les structures de l’insertion se positionnent comme des acteurs de référence qui ont souvent précédé les pouvoirs publics dans l’évolution des pratiques.
Comme présenté plus haut dans l’article, l’économie circulaire dans le BTP est génératrice d’emplois non délocalisables, et crée des opportunités économiques et de formation sur des métiers nouveaux, pertinents écologiquement et qualifiés. Le développement de ces métiers répond précisément aux enjeux de l’insertion par l’activité économique qui souhaite offrir des opportunités de travail aux personnes en parcours pour les accompagner vers l’emploi durable.
La filière du réemploi
Les métiers du réemploi des matériaux du bâtiment sont variés et en cela peuvent correspondre aux besoins et compétences divers des publics en insertion. Notamment parce que la commande est en cours de structuration sur ces sujets, les chantiers du réemploi (le terme “réemploi” englobant toutes les opérations liées à l’économie circulaire appliquée aux matériaux de construction) laissent place à l’expérimentation, à l’apprentissage et au développement de techniques spécifiques de dépose, conditionnement, reconditionnement et mise en circulation des produits et matériaux du bâtiment. Dans une perspective d’intégration d’un poste salarié dans une entreprise classique après un parcours en entreprise d’insertion, utiliser le curage et le réemploi comme une méthode d’apprentissage du mode de pose des matériaux permet de viser des métiers de la construction aujourd’hui en fort besoin de recrutement.
“Démonter un bâtiment peut être l’une des meilleures manières de développer des compétences dans les métiers de la construction. L’usage des outils, la familiarisation avec divers éléments de construction et divers types d’ancrages et fixations, les séquences de construction ou encore la sécurité sur le chantier…” (Source : Étude sur les besoins en compétences dans les filières de valorisation des déchets du bâtiment, avec un focus “réemploi des matériaux”
CAFOC, Fédération Ecoconstruire, avec le soutien de l’ADEME)
Les activités développées par les structures inclusives sur les métiers du réemploi, de la réutilisation et du recyclage des matériaux de construction sont une réponse légitime et à fort potentiel pour participer à la co-construction de la filière.
Elles valorisent les territoires en leur apportant des savoirs-faire, valorisent les personnes par des métiers porteurs à moyen et long terme. Elles valorisent également les activités déjà existantes par des synergies permettant un développement et une opérationnalité rapide de l’offre proposée.
QUELQUES EXEMPLES CONCRETS
Pour illustrer ces propos, nous avons rassemblé quelques exemples d’opérations réalisées entre 2022 et 2023 par des entreprises d’insertion aujourd’hui membres du réseau Sequndo.
Une opération de dépose soignée organisée en amont du curage et de la démolition si elle a lieu permet par exemple d’atteindre des taux de réemploi de 91% des cloisons de bureaux déposées sur un chantier de 200m. Cette opération, menée par Trialp en Savoie, a mobilisé pendant 10 jours une équipe de 3 personnes en insertion et 1 encadrant.
Retrilog, à Rennes, a pu atteindre 44% de réemploi des matériaux concernés par le curage sélectif et la dépose soignée sur 2000m de plateaux de bureaux, tous lots confondus. Cette opération a mobilisé 2 encadrants et 6 salariés en insertion pendant 14 jours. Les taux de réemploi varient selon les matériaux rencontrés, selon leur état et leur accessibilité. Les objectifs, fixés par les maîtrises d’ouvrage, ont été largement atteints par les équipes.
Dans les équipes de Demoltri, à Marseille, les salariés ont souvent déjà une expérience dans le bâtiment, mais ont longtemps stagné sur des postes de manœuvre.
Grâce à un parcours chez Demoltri et à des formations conséquentes sur la sécurité et sur la dépose soignée, les salariés ont l’opportunité d’être les précurseurs de métiers attractifs et qualifiés, comme plaquiste, maçon, coffreur. Ainsi que des métiers de la déconstruction et du réemploi pour lesquels la demande augmente.
CONCLUSION
Les pratiques de la déconstruction sélective et du réemploi des matériaux sont encore à consolider à différents niveaux des projets de construction, réhabilitation et démolitions. Cependant, le territoire français est maillé d’acteurs en capacité de porter les missions qui permettront la circulation des matériaux et la lutte pour la réduction de la production de déchets dans le secteur du BTP.
Les entreprises d’insertion, pionnières sur les métiers du déchet, s’emparent de l’économie circulaire appliquée au bâtiment et développent rapidement leurs compétences. Elles apportent ainsi une réponse qualitative aux enjeux environnementaux du secteur, tout en offrant aux personnes qu’elles accompagnent un parcours valorisant et qualifiant au service d’une intégration sociale et professionnelle durable.